01.04.22

Prix de l’énergie : un état des lieux

Ces deux dernières années ont été assez agitées pour les marchés internationaux de l’énergie. En 2020, la crise du coronavirus a entraîné des confinements à travers le monde et une baisse significative de l’activité économique ainsi que de la consommation mondiale d’énergie. Les prix de l’énergie en ont bien sûr été impactés. Vous trouverez ci-dessous des graphiques reprenant les prix du gaz et de l’électricité pour la période de 2019 à la mi-2021. Ces graphiques montrent clairement l’impact de la crise du coronavirus ainsi que la reprise économique au printemps 2021 avec l’effet des premiers vaccins. L’économie mondiale commence alors à se redresser progressivement. Le prix du charbon et du pétrole ainsi que le prix européen du CO2 suivent la même courbe.


Illustration 1 : Prix du gaz en Europe centrale et occidentale du 1er janvier 2019 au 30 juin 2021
 

Illustration 2 : Prix de l’électricité en Europe centrale et occidentale du 1er janvier 2019 au 30 juin 2021
 
La crise du coronavirus n’a pas seulement entraîné une diminution de la production économique suivie d’une forte reprise, mais également de nombreux goulets d’étranglement, sources de retards. Le plus visible est celui lié aux chaînes logistiques où la reprise se caractérise par d’énormes retards dans les transports (manque de conteneurs et de porte-conteneurs, ports saturés avec des temps d’attente qui augmentent considérablement...).
 
Dans le même temps, une tempête se préparait sur les marchés européens du gaz à la fin 2021. Le graphique ci-dessous montre l’impact de la reprise économique durant l’été 2021. Au début de l’hiver, on a ensuite observé une nette accélération des prix du gaz en Europe.
 

Illustration 3 : Prix du gaz en Europe centrale et occidentale du 1er juillet 2021 au 1er janvier 2022
 
Il s’agit du résultat d’un ensemble d’éléments qui ont fait grimper, chacun à leur tour, le prix du gaz en Europe.
 
  • Certains pays disposent d’importantes possibilités de stockage du gaz naturel, mais ne prévoient pas d’obligation d’un remplissage minimal des réserves de gaz à l’approche de l’hiver. L’Allemagne et l’Autriche sont dans ce cas. Gazprom, la plus grande entreprise de gaz naturel au monde, a certes réservé une partie considérable de la capacité de stockage, mais elle ne l’a pas utilisée. Au fur et à mesure que l’hiver avançait, la crainte d'une pénurie de gaz n'a cessé de prendre de l'ampleur en cas de vague de froid entraînant un pic de la consommation.
  • La Russie remplit tous ses engagements d’approvisionnement dans le cadre des contrats de gaz à long terme, mais, contrairement aux années précédentes, aucun gaz supplémentaire n’est fourni à l’Europe sur les marchés à court terme. Cette situation n’est pas due à une pénurie de gaz, car en 2021, la Russie a produit 515 MMC (milliards de mètres cubes) de gaz, le volume le plus élevé en 13 ans. En comparaison, l’Europe a consommé 406 MMC en 2019 (pré-covid). La Russie fournit environ 40 % de la consommation de gaz en Europe.
  • Comme indiqué précédemment, l’économie mondiale connaît une forte reprise, y compris une énorme demande supplémentaire de gaz en Asie (notamment pour limiter la combustion du charbon et la pollution de l’air) qui, en raison de la hausse des prix, attire massivement les méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié (GNL).
  • La production éolienne a fortement chuté en 2021 par rapport aux années précédentes (-15 %).
  • Une maintenance différée a été reportée après l’année Covid 2020 et plusieurs indisponibilités ont été constatées.
 
À titre de comparaison, les prix du gaz américain (convertis en euros) sont restés compris, sur la même période, entre 10 et 17 euros/MWh, c’est-à-dire très largement en dessous du prix du gaz européen.  Des évolutions similaires peuvent être observées en Russie et au Moyen-Orient. Seule l’Asie connaît également une forte augmentation du prix du gaz (en raison du lien entre les deux marchés via le GNL).
 
Le prix du gaz en Europe est également déterminant pour les marchés européens de l’électricité. La fixation des prix sur le marché européen de l’électricité sur le marché spot (marché day-ahead, marché pour l’approvisionnement en électricité le lendemain) repose sur ce que l’on appelle le marginal clearing. En d’autres termes, le prix est déterminé par la dernière unité qui garantit l’égalité de l’offre et de la demande. En hiver, il s’agit souvent de centrales au gaz, car la demande en électricité est élevée. La combinaison des prix élevés du gaz et du CO2 (les centrales à combustibles fossiles doivent acheter des droits d’émission de CO2) a immédiatement fait exploser les prix de l’électricité en Europe.
 

Illustration 4 : Représentation synthétique des forces du marché en fonction du merit order des technologies de production
 
Au début de l’année 2022, les prix du gaz (et comme décrit ci-dessus, les prix de l’électricité) ont commencé à baisser lentement en raison de la conjonction de quatre éléments :
  • Les méthaniers de GNL ont mis le cap sur l’Europe afin de profiter des prix élevés, ce qui a commencé à réduire le risque relatif aux sécurités d'approvisionnement.
  • Les températures ont dépassé les normales saisonnières en de nombreux endroits.
  • La production éolienne a été plus élevée qu’en 2021, faisant chuter les prix de l’électricité à zéro ou même sous cette barre à certaines heures.
  • Des négociations ont eu lieu entre l’Europe et les États-Unis concernant d’éventuelles alternatives au gaz russe et son utilisation comme arme géopolitique par les autorités russes.
 
Un net revirement de situation s’est amorcé, même si les prix oscillent toujours autour d’un plateau beaucoup plus élevé que les années précédentes.
 
Puis, le 20 février, la Russie a lancé une attaque massive contre l’Ukraine, ce qui a donné lieu à un train de sanctions sans précédent et inattendu de la part des pays développés. En conséquence, les prix de l’énergie atteignent des niveaux sans précédent et les records continuent de tomber sur les marchés du gaz et de l’électricité.
 

Illustration 5 : Prix du gaz en Europe centrale et occidentale du 1er janvier 2021 au 30 mars 2022

Vu l’incertitude persistante quant à l’évolution de la guerre et l’impact des sanctions sur la situation politique et économique, ainsi que le risque relatif à la sécurité d'approvisionnement, pour l’hiver dernier et pour les hivers à venir, les prix resteront au moins cinq fois supérieurs à ceux de la même période précédant l’été 2021, même si l’on ne tient pas compte des pics les plus élevés.

Les prix à terme de l’électricité pour livraison l’année prochaine, qui incluent implicitement l’impact des prix élevés du gaz, du charbon et du CO2, montrent clairement que les marchés continuent de subir des soubresauts et ne savent plus à quoi s'attendre. Le graphique ci-dessous montre que les prix pour une livraison en 2022 ont atteint un pic juste avant la période de Noël. À partir du 1er janvier 2022, le graphique présente les prix pour une livraison en 2023 et montre clairement qu’après la baisse, une grande incertitude sera encore de mise, ce qui provoque un rebond immédiat des prix au moindre choc ou à la moindre incertitude. Les prévisions pour 2024 et 2025 montrent également une tendance similaire, bien que l’on puisse observer que les niveaux de prix absolus baissent quelque au fil des ans, mais restent plus élevés que ceux auxquels nous étions habitués avant la crise.


Illustration 6 : Prix de l’électricité Year Ahead en Europe centrale et occidentale 1er janvier 2021 au 30 mars 2022
 
L’impact à court, moyen et long terme est difficile à estimer pour le moment. Si les effets secondaires sur les coûts, l’inflation et les salaires se font progressivement sentir, l’impact sur les consommateurs et les fournisseurs d’énergie est déjà d’une ampleur sans précédent.